
Pour sa 39e randonnée l’association Le Voyage Métropolitain proposait une immersion en Seine-Saint-Denis, plus précisément à Sevran et dans ses environs. « Qui connaît le territoire que nous allons visiter ? » A cette question posée lors du briefing, 90 % de la soixantaine de marcheurs répondit : pas du tout.

Pourtant, la majorité les participants à cette randonnée particulière vivent en Ile-de-France, dont beaucoup d’architectes, urbanistes, chercheurs, et d’autres travaillant dans l’événementiel. Ce paradoxe est symptomatique de l’isolement dans lequel sont plongés certains territoires autour des grandes villes.

Ce nouveau type de randonnée dite « périurbaine » avait pour but de nous immerger dans Sevran et ses environs. Un choix qui n’était pas anodin. La ville a connu en effet par le passé des émeutes et d’importantes transformations urbaines. Qu’est-elle devenue aujourd’hui, comment change-t-elle ? Pour le savoir nous avons rendez-vous avec Faroui Lellouch, un des acteurs majeurs du monde associatif du secteur.

Après avoir quitté la gare du RER B et traversé le centre commercial local, dont un méga hypermarché Carrefour, les participants retrouvent l’expert au pied de tours dressées au milieu d’une zone encore en chantier. Là, une fois les 2 tours restant détruites, un axe routier important devrait passer, à deux pas de la nouvelle école. Le projet démentiel provoque colère et désespoir chez les riverains. L’homme nous raconte le combat qu’il mène depuis des années auprès des pouvoirs publics. Une tour a déjà été démolie et les habitants ont été relogés dans de petits immeubles, plus élégants.
Si leur cadre de vie s’est bien amélioré, reconnaît l’animateur, la nouvelle résidence sécurisée et verdoyante présente hélas les signes précoces d’une dégradation souvent inhérente aux constructions à l’économie réalisées par Bouygues. « Et puis il n’y a pas d’aire de jeux pour les enfants, et les fossés sont inondés lorsque les pluies sont abondantes… » ajoutera-il avant de nous conduire vers un autre lotissement rénové. Le petit parc au pied des immeubles est plutôt agréable. « Les jours d ‘été il connaît une affluence record. Les habitants s’y retrouvent tard, raconte Faroui, l’atmosphère est conviviale, hélas parfois trop bruyante pour les riverains ! » A force d’acharnement il a réussi à faire installer non loin une construction Algeco… en guise de salle de sport.

Marchant vers l’Est, les randonneurs traversent la friche de la Butte de Montceleux puis un champ fraichement aplani. C’est ici que devrait naître une nouvelle base de loisirs avec notamment une piscine à vagues . Dans ces banlieues qui manquent de tout, l’imagination des promoteurs ne semble connaître aucune limite. Une fois ce grand espace franchi, le chemin débouche dans le quartier du Pont-Blanc.
La verdure reprend ici ses droits. Les randonneurs aguerris reconnaissent les marques familières jaune et rouge d’un GRP (Grande Randonnée de Pays), celui de la Ceinture Verte d’Ile-de-France. Nous longeons alors le canal de l’Ourcq avant d’arriver à la friche Kodak où tout le monde a rendez-vous avec deux autres intervenants.
L’usine de traitement des films argentiques s’élevait ici, sur une zone de 13 hectares où travaillaient plus de 3 000 personnes. Le passage au numérique fut fatal à Kodak et la firme céda le terrain à la commune. Joli cadeau empoisonné, il fallut pas moins de dix ans pour dépolluer ou remplacer les 100 000 tonnes de terre imprégnée de produits toxiques, de la surface jusqu’aux nappes phréatiques, accumulés entre 1925 et 1995. Cette réhabilitation fait aujourd’hui partie du programme Nature 2050 qui met en œuvre des projets aux résultats quantifiables, dont l’objectif est de conserver et d’accroître la biodiversité ainsi que d’adapter les territoires aux changements climatiques.

Nous découvrons dans un premier temps l’histoire de ce site emblématique de Sevran, au lourd passé industriel, grâce à l’exposé très bien documenté des spécialistes. Puis l’on parcourut la friche pour visualiser la lente évolution de l’endroit, désormais rendu au public.
Il n’était pas loin de 14 heures quand chacun put apprécier, comme dans toute randonnée, l’heure du pique-nique après plus de trois heures de marche. Les familles viennent trouver calme et verdure dans le Parc Forestier National de Sevran, ancienne forêt de Bondy. On y trouve la fameuse Poudrerie impériale qui fonctionna durant un siècle, entre 1873 et 1973. Elle compta 3 300 ouvriers et produisit jusqu’à 28 tonnes de poudre par jour. Les Allemands occupèrent la manufacture en 1940 ; elle sera libérée en 1944.
Ce parc, véritable havre de paix, fut pourtant menacé de disparaître, nous racontera M. Lellouch : « Les promoteurs voulaient l’acquérir pour y construire des habitations. Il a fallu créer un golf à proximité, jouant ainsi habilement avec la législation, pour qu’ils renoncent à leur projet ! »

Cette randonnée périurbaine fut aussi l’occasion de faire une belle balade dans le bois de Bernouille, situé au sud de Vaujours. Lors d’une pause de debriefing, de retour dans le parc, chacun put exposer ses impressions et dialoguer sur cette expérience originale avant de reprendre le train à la gare du Vert Galant.
La randonnée périurbaine va à l’encontre des parcours traditionnels ; beaucoup plus lente, elle est hachée, entre bitume et chemins de terre. Elle bouscule les habitudes des marcheurs mais leurs fait découvrir la ville sous un nouveau visage ; elle constitue une alternative passionnante.
C’est ainsi que le Sentier du Grand Paris, balisé sur 600 km, devrait voir le jour en 2022… si la FFRP ne lui barre pas le chemin !
Téléchargez la trace de cette randonnée ICI