Inscrit cette année en auditeur libre à la faculté de Tolbiac en Licence 1 Géographie, je n’ai sans doute pas fait le meilleur choix. Le campus est depuis des mois au bord de la révolution. résultat : annulation de cours et pérégrination au long cours !
Ce matin-là, le site Pierre-Mendès-France de Paris I est une fois encore en effervescence, les étudiants restant très mobilisés contre la réforme des retraites. L’amphi H vide, le cours magistral annulé vu la fréquentation insuffisante doit être remis à plus tard dixit le prof présent à l’entrée. Température fraiche, soleil radieux, je décide de rejoindre ma banlieue à pied depuis la station Olympiades de la Ligne 14. A Paris, certains marchent les jours de grève des transports, moi, je marche les jours de blocage de fac. Chacun son truc.


Cette longue diagonale buissonnière qui se dessine est en fait providentielle et tombe à pic pour parfaire ma préparation physique en vue de mon 6e chemin de Compostelle, entre Séville et Saint- Jacques, prévu en avril prochain. Parmi les autres prétextes plus ou moins crédibles, j‘ajouterai que « tout bon géographe doit être présent sur le terrain pour en cerner les aspects cachés ou les moins évidents à déchiffrer », selon notre prof de topologie
Parcourir Paris à pied est de loin la meilleure façon de découvrir voire redécouvrir la capitale. La densité de rues est telle que l’on peut varier les itinéraires à l’infini avec la certitude de trouver une boulangerie, un supermarché ou un bistrot à l’heure du déjeuner ou du goûter. D’ailleurs, je ne suis pas certain que ce genre de rando intramuros ait le moindre intérêt pour votre régime minceur !


Faible consolation, ce triste spectacle n’est pas offert aux regards des touristes chinois qui ont déserté la capitale, bloqués dans l’Empire du Milieu par une épidémie de coronavirus carabinée. (Nos visiteurs asiatiques représentant désormais 11% des touristes, le manque à gagner va plomber gravement les recettes. Aïe.)

Lors de cette remontée vers Bois-Colombes, j’opte pour une trajectoire nord-ouest pifométrique. L’essentiel étant de profiter de la balade sans rallonger l’itinéraire outre mesure. Celui-ci passe d’abord par la place d’Italie (XIIIe). Elle fait partie des cinq places relookées à l’initiative de madame Hidalgo, la maire locale dont l’objectif est de rendre la ville aux piétons. Cela ne va pas sans quelques désagréments pour les malheureux automobilistes coincés dans de nouveaux bouchons nés de ces chamboulements. Puis je bifurque par l’avenue des Gobelins.

Mais c’est le cours de l’histoire… et le cours de géographie étant annulé, je décide de faire quelques emplettes au Vieux Campeur dans le 5e arrondissement.



Mêmes les Parisiens les plus affûtés ne comprennent rien à l’organisation du Vieux Campeur, pourtant le magasin de référence et de sérieux en matière d’équipements de loisirs Nature.
. L’enseigne ne cesse d’ouvrir des locaux spécialisés, éparpillés dans tout le quartier depuis des décennies et d’en fermer certains. Mieux, les magasins changent de spécialités à chaque rentrée, un turn-over difficile à suivre… mais pas impossible ! Je traverse ensuite la Seine non sans avoir inspecter de loin les travaux de réparation de Notre-Dame après le gravissime incendie. L’édifice est désormais consolidé sous toutes les jointures et cerné de grues. Le parvis devrait être bientôt accessible.
Le parvis devrait être bientôt accessible. Quant à l’échéance d’une réouverture totale en 2024, date des J.O, elle relève d’une pure utopie présidentielle qui fait marrer les spécialistes des monuments historiques. Puisque nous parlons d’architecture et des défis parisiens, je ne peux que me diriger vers les Halles pour aller une nouvelle fois admirer le forum recouvert de sa fameuse Canopée et ses nouveaux jardins. A part la couleur, j‘avoue que la réalisation de cette vague ondulante me plaît bien. La plongée dans les entrailles commerciales et le métro par ses nombreux escalators a quelques choses de vertigineux.
Le célèbre « trou des Halles » qui défia la chronique très longtemps semble donc avoir une véritable envergure. Les jardins très aérés lui donnent aussi une réelle respiration. Il fait bon désormais s’y balader sans craindre d’y croiser des dealers au coin d’un bosquet empestant l’urine. Enfin en principe…


Cette diagonale buissonnière se prolonge vers le quartier l’Opéra. J’y accède en remontant la rue Sainte-Anne . Ce fut jadis, le cœur battant de la population gay parisienne avant qu’elle ne migre vers le Marais. Aujourd’hui la rue n’est plus qu’une litanie de restaurants principalement japonais.
Je sais, je sais, en tant qu’élève géographe momentané, je devrais en principe chercher des explications sociologiques aux occupations successives des populations immigrées de la ville. Mais je me contente ce matin de traverser le décor entre les derniers vestiges du nouvel an chinois et les panneaux des soldes finissantes. Et puis ce parcours a au fond des allures plus touristiques que celle d’une exploration ethnographique !

Je découvre au fil des rues des boutiques surprenantes pour le randonneur averti, comme ce « cordonnier Vibram » de la rue des Petits-Champs qui étale en rayon une foule de chaussures aux semelles bien connues sur le marché. La traversée du XVIIe prolonge cette randonnée urbaine dans un univers aussi chic. Je suis loin des axes populaires du XVIIIe ou bobo du XXe arrondissement.

Le franchissement du périph à la porte des Ternes ne me fait pas changer de standing lorsque je rentre enfin dans Levallois-Perret. La ville de la Balkany family occupe une place de choix sur la première couronne. Avenues taillées au carré abritant de grandes sociétés comme Guerlain ou BASF, ou grosses agences de pub. Les groupes de presse ont tiré leur révérence depuis quelques années pour investir des communes aux loyers plus abordables leur offrant des niveaux de taxes défiant toute concurrence.
Le business local propulse à cette heure du déjeuner une masse de jeunes cadres branchés dans les fast-food et le kebab côtoie le resto bio. Je me pose dans le joli parc de la Planchette pour apaiser mes tibias martyrisés par le bitume depuis plus de 15 km avant de rejoindre les bords de Seine. Les urbanistes ont là aussi repoussé ou gommé les anciens docks et usines poussiéreuses désaffectées de naguère. Aires de jeux, promenades arborées, buvettes se succèdent le long du fleuve. Et dire que gamin je venais ici-même plonger dans les bassins de la piscine olympique de Levallois !





Arrivé sur l’autre rive, j’arrive en terre connue, à Asnières, ma ville natale, où j’ai passé mes quinze premières années – c’est vous dire. Le quartier de la gare s’est métamorphosé sous l’effet de la boboisation galopante. Cinéma l’Alcazar ripoliné, commerces de bon goût, école privée Sainte-Geneviève, tout y est . Dix minutes de train suffisent désormais pour rejoindre la gare Saint-Lazare en effaçant les frontières entre banlieue et capitale. . Je remonte le quartier Flachat qui me conduit à Bois-Colombes, ma destination finale. Ma montre connectée affiche 23 400 pas et une dépense de 1 240 kcal. Décidément le vocabulaire fitness me laisse perplexe. Alors disons que cette journée de révolte estudiantine à Tolbiac m’a offert une balade surprise de 16,7 km. Finalement, la vie d’étudiant d’un retraité n’est pas désagréable. Allez, continuez le combat !