
Chaque année depuis que les congés payés existent, il y a les juillettistes et les aoûtiens qui se croisent sur les routes. Puis d’autres qui prennent le train lorsqu’une copine manifeste une envie irrépressible de se tremper les pinceaux, un lundi, et de marcher. Alors on écoute la copine et on achète un billet SNCF, direction Deauville. Le groupe est restreint. il y a Monique la parigo-charentaise, donc la parisienne capricieuse, Edward qui sèche le boulot et deux retirés des affaires à perpétuité , Michel et votre serviteur. A Deauville, premier changement de programme. Nous ne marcherons pas jusqu’à Villers-sur-mer. La copine voulant voir que la mer, nous prendrons le bus jusqu’à Houlgate et retour par la plage, « Houlgayte » comme dirait Edward probablement intoxiqué par trente ans d’actualités anglo-saxonnes (Watergate, Bille Gates ??). Nous rejoignons la petite station balnéaire vers les 10h00, Michel a sorti la carte IGN du coin, j’ai déployé un bâton de marche pour attaquer la falaise. On est fin prêt et gonflés à bloc pour la grande aventure sur le GR223 . Enfin pas tout à fait. Edward se souvient qu’il ne marche jamais sans son café, notre randonneuse se découvre une soudain une fringale et Monique n’ a pas prévu de pique-nique. Alors attablés à une terrasse baignée de soleil, tous décrètent que l’urgence est aux oeufs brouillés et toasts grillés, aux doubles-express et pour Monique un shopping dans une pâtisserie locale. Après une rallonge de cafés et une autre tournée de toasts, il nous faudra près d’une heure pour amorcer enfin un premier pas vers ce foutu sentier perdu quelque part en ville . Là, un premier obstacle se dresse sur le chemin, genre Everest normand : un escalier ultra raide de.. 200 marches peut-être ? La mer se mérite et ce n’est pas une rampe ridicule qui peut entamer notre détermination de randonneurs aguerris . Asphyxiés par les 112 m d’altitude, surement déjà un peu diminués par le décalage horaire, on atteint un petit belvédère pour observer.. la mer ! C’était le moment pour se débarrasser du superflu, les bouteilles d’oxygène et des bas de pantalon ou comme notre copine, d’offrir un striptease gratos aux touristes matinaux en enfilant un bermuda. Alors on a repris le chemin par les sous-bois des hauteurs. Les kilomètres défilent la mer a disparu. Ca sent le Devos. Les remarques ironiques commençent à fuser : » on aurait peut être du rester sur Fontainebleau ? » ou « faut pas se plaindre la balade en car était sympa ». Etc. Les pieds-nickelés en vadrouille ramassent en route un marcheur qui souhaite rejoindre Villers-en évitant le macadam. C’est la chance de sa vie pour ce passionné d’astro-cosmo-physico-spatiale, il tombe sur Michel un garçon érudit toujours dans les étoiles dont la culture philosophico-zen-Tai-chi se double du dictionnaire des citations en douze volumes ! On quitte le voyageur à l’entrée de Villers avec une vision d’un nouvel eldorado : la mer est à nouveau devant nous !
Ca va surement se dégager avec la marée. « C’est pas faux » réplique Edward, faute de mieux


Il est presque 13h00 et la plage nous tend les bras. Monique avait annoncé la couleur, qu’elle que soit la température de l’eau, elle se baignerait. Promesse tenue, miss Poitou se pare d’un deux-pièces et s’élance vers les flots. Les autres font trempettes des pieds, notre amie traite ses problèmes immobiliers en direct live au tél, j’attaque mon sandwich Rosette de Lyon alors qu’Edward et Michel plongent dans une salade suffisante pour nourrir trois Sumotoris. La copine aux envies de mer lâche son portable, elle n’ a pas faim, rassasiée au départ par trois miettes de pain et un dé à coude de thé. Michel gratifie toute la plage d’une démo de Tai-chi . Rien ne presse vraiment, le train du retour est à 19h00, la plage s’étend à l’infini vers le Havre et comme l’avait prévu Michel en fin marin, la marée est à l’étale. Edw et moi gardons les chaussures de rando afin d’éviter une abrasion excessive de nos pieds splendides. On passera le reste de la journée à éviter les flaques et les torrents de 10 cm de fond s’écoulant vers la mer. Au gré du terrain et de l’humeur voire de la mauvaise humeur passagère , le groupe évolue à géométrie variable sur le sable. Les filles font des photos sur les bouées, Michel médite en arrière sur la psychologie des mouettes en milieu marin et l’influence de la lune … Je me repasse quelques flashbacks nostalgiques : Deauville, la planche à voile , le camping aux Fous du Vent avant qu’Ornano ne transforme la ville en machine à fric et puis les châteaux de sable avec Etienne , nos bagarres de lutteurs, les déj au restau le Galatée à Trouville, les soirées Top Résa Mondial du tourisme dans les deux casinos, les machines à sous avec les potes à Ouistréam, Villers..et puis un peu plus loin les couchers de soleil magiques sur la plage d’Arromanches.
A Trouville-Deauville , l’addition est parfois plus salée que la mer .
Deauville pointe son nez avec en fond sa piscine d’eau de mer son centre de thalasso. « Pas question de dévier du cap » s’insurge on Monique. Objectif : débarquer dans un bar de Trouville pour recharger les batteries avant le train. Un second obstacle se dresse à l’entrée du port : La Touque . Tels des mexicanos plantés devant le Rio Grande infranchissable, tous regardent impuissant la fougueuse rivière. Au moins un mètre de flotte et un débit de 0,5 m3 par seconde , les sables mouvants, les crabes mangeurs d’hommes ! Il vaut mieux éviter le ridicule sous les yeux des quelques badauds sur la digue et rejoindre le centre au sec. Le marché aux poissons réveille les appétits et les fantasmes gastronomiques. Claire avait déjà dégainé avec des hallucinations de rillettes, de tripes, Michel emboite le pas avec un rêve orgie d’Etrilles. Monique et Edward passent à l’acte et investissent dans les filets de maquereaux . On dépasse les Vapeurs pour s’installer en terrasse histoire de calmer notre dalle. Pas facile de choisir lorsque la montre indique 17hoo. Tempête dans le crâne de Monique : prendre ou ne pas prendre une saucisse-frites maintenant ? Je bouquine la carte avec stupeur . Le niveau des prix s’élèvent avec la marée . Là, on est en pleine équinoxe, le cappuccino atteint les 7€ , la maigre assiette de fromage de la randonneuse pourrait à peine convenir au menu enfant et ma tartelette et sa boule de glace se perdent dans l’immensité du plat. Un petit crachin tombe sur la ville, il est temps de rejoindre la gare de l’autre côté de la Touques. Tous dissertent encore en chemin sur cette addition plus salée qu’un marais. Notre copine a vu la mer, Monique rêve encore de sa saucisse frites dans le train du retour. Mais comme c’est bon d’avoir regarder un bout de l’horizon un lundi alors que Paris se vide comme ce petit port normand à marée basse!