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Après une semaine digne de l’été, une vingtaine de marcheurs se retrouvait à la gare de Champagne dans la fraîcheur printanière aux portes du Vexin. La brise du nord balayait le paysage, entraînant dans sa course un train de nuages sages qui laissaient de l’espace au soleil généreux. J’emboîtais leurs pas à travers les ruelles de la petite ville qui allaient nous mener sur les hauteurs dominant l’Oise. Nous étions partis pour une balade de 17 km qui devait s’achever à la gare de Valmondois, sur la même ligne .
Les muscles étaient encore froids et le cœur n’avait pas encore trouvé son rythme. Très vite, l’asphalte laissa la place aux sentiers d’une forêt vallonnée. Une lumière pure révélait une nature qui explosait sous la poussée du printemps. Calé dans le groupe aux conversations sonores, je remarquais deux femmes qui cheminaient devant moi. L’une d’elles tenait une sangle du sac à dos de sa voisine.


Ce geste me sembla anodin et dû à leur proximité amicale . Il me faudra parcourir davantage de kilomètres pour comprendre que la marcheuse, dont l’un des bâtons était blanc, était non-voyante . Je me demandais qui était le plus aveugle des deux, alors que la réalité et l’évidence s’étalaient devant moi ! Je vins à leur niveau. La femme au bâton blanc s’appelle Marinette et celle qui la guide, Dominique. Le duo bavarde d’un sujet banal, mais leur complicité dégage une réelle chaleur . Je restais silencieux un bon moment, laissant libre cours à des interrogations idiotes : comment cette femme percevait elle cette journée splendide, comment partagions nous le même plaisir, avec moi le randonneur « normal » et contemplatif ?
Et puis, ma curiosité désespérément journalistique l’emporta et je me décidais à parler avec ma voisine non-voyante. Frappée de cécité irrémédiable depuis sa naissance, Marinette n’avait jamais vu les couleurs de ce monde, tout comme son frère . Elle avait travaillé pendant de nombreuses années à la caisse d’Épargne de Besançon, mais la routine l’avait lassée. Elle avait alors repris des études pour devenir kinésithérapeute à Paris, jusqu’à sa retraite. Elle partage aujourd’hui sa vie avec un compagnon dont la cécité n’a cessé d’amplifier depuis l’âge de 29 ans. L’homme vit dans un monde intérieur intense et est devenu un écrivain engagé. Malgré son handicap, je découvre à mes côtés une femme en mouvement permanent que rien ne semble pouvoir limiter .. Excepté la neige m’avouera-t-elle ! Alors, ce matin-là, Marinette randonne comme les autres. Elle a pris son train de banlieue comme nous autres, Dominique l’a juste cueillie sur le quai comme elle le fait régulièrement depuis plus de quinze ans. Amie dévouée (c’est un euphémisme), elle la guide ainsi sur tous les terrains, y compris à Fontainebleau entre les rochers. Et ces randonnées prennent des airs de défis tant les obstacles sont nombreux. Afin de mesurer cette difficulté, Dominique me propose de marcher avec Marinette. J’accepte.
Celle-ci va m’initier en quelques minutes à un rôle dont j’ignore tout. Elle m’apprendra ainsi que les longues phrases sont inutiles, encombrantes, voire inefficaces . Guider une non-voyante nécessite des mots brefs : rigole devant, racine, marre à droite, branche basse. Lorsque le sentier devient étroit, je passe devant elle, laissant sa main posée sur mon sac à dos, ou prenant le bâton que je lui tends derrière. Je découvre et endure un rythme plus lent, mon esprit est focalisé sur elle, et cette concentration soutenue me fatigue plus que je ne l’imaginais. Le groupe s’est étiré sur quelques centaines de mètres, je reste seul avec Marinette à discuter. Je savoure un certain silence retrouvé et lui demande si les conversations souvent fortes des randos ne la perturbent pas en masquant les bruits de la nature . Sa réponse surprend le randonneur valide souvent solitaire : « Non, leurs paroles servent à me guider ! « . Puis j’apprends que Marinette randonne dans ce club depuis 2008, date de la création de Randif. Nous ne nous sommes jamais croisés ! Je rejoindrais mon tandem marcheur sur le quai de la gare de Valmondois à la fin de la randonnée . Les copines s’enivrent des rayons encore chauds en attendant notre train . Dominique revient sur le passé de l’ association, au temps de Lucien, le premier président : » C’était un homme très ouvert et il accepta immédiatement la présence de Marinette dans les groupes. L’époque connaissait une plus grande solidarité, dit-elle avec une pointe de nostalgie. Aujourd’hui chacun se mure dans ses problèmes, tout à fait légitimes. J’aimerais que quelqu’un prenne le relais de temps en temps. » Marinette partage ce point de vue. Non seulement pour bénéficier de l’indispensable guidage, mais aussi pour rencontrer et partager ses randos avec des personnes nouvelles. Le message est passé. Je reverrais sans doute Marinette dans quelques semaines. Elle part cette semaine en Guadeloupe. Nous discuterons de la douceur de l’Alizé … et du bleu des lagons. Promis !

























