Pas l’ombre d’un doute, la vie du retraité actuel n’est pas une sinécure. Le senior souvent éjecté ou retiré devenu randonneur se frotte lui aussi au spectacle affligeant des montagnes d’ordures et plus encore aux problèmes de transports publics dus aux fins de grèves relatives à la reforme. Réforme de quoi ?
Des retraites ! Ajoutons à cette double peine , la foule de travaux sur les réseaux SNCF et RATP ainsi que les bouclages de quartiers dus aux diverses courses à pied et les quelques défilés protestataires dominicaux habituels . C’est ainsi que dimanche dernier, 8h00, je me suis retrouvé planté à un l’arrêt de la gare Saint-Lazare ligne 26 , un bus dont le premier départ a été reprogrammé à 14h30 ! Toute idée de rejoindre la gare du Nord, rejoindre un groupe et partir vers Provins dans le délai requis fut une totale utopie. J’y renonçais pour improviser une journée de balade en solo dans la capitale encore endormie, au silence rompu par intermittence par le ballet des balayeuses effaçant les traces de la manif de la veille.
La place de l’Opéra a récupéré des outrages des Black blocks, des panneaux d’agglo protégent encore les distributeurs de billets et rappellent toute la brutalité de la contestation. L’Opéra Garnier blindé de sa cotte de mailles d’échafaudage avait résisté . A un an des J.O de 2024 Paris se refait aussi une beauté et je ne compte plus le nombre de chantiers en cours tout au long de mon parcours improvisé. L’ Arche de triomphe du Carrousel a disparu du décor, planqué derrière des palissades agrémentées du récit historique de l’édifice , les jardins des Tuileries montrent des trous béants et la place de la Concorde n’est guère en meilleure forme. Je décide de rejoindre la Seine et la suivre le plus loin possible pour atteindre le Bois de Boulogne.
Un vent de Nord Ouest balaie le quai sous un ciel menaçant, sans décourager les joggers et touristes matinaux. Car à 9h00 , Paris s’éveille. Les vendeurs de Tour Eiffel arrivent un à un et commencent à étaler leur carré de tissu sur le trottoir pour présenter leur stock de ferrailles « made In China ou Bengladesh » . Gustave n’ en demandait pas tant. Une poignée à chaque coin permet de replier le tout en deux secondes si les flics débarquent, voir de les balancer dans le fleuve ! Les ponts défilent au dessus de moi, j’entraverse d’autres. Les bateaux-mouches sont prêts à recevoir nos hôtes américains, japonais, coréens. Les Russes manquent à l’appel . Ah bon ? Je traverse la Seine par le Pont de Garibaldi, face à la Maison de la Radio et m’enfonce dans le XVIe vers la Porte d’Auteuil. La statue de la Liberté modèle réduit me tourne le dos et continue d’éclairer le paysage plombé par un ciel gris. 10h00 changement de standing, les familles chics baladent leurs blondinets en trottinette ou en poussette, les boulangeries me font de l’œil sans résultat jusqu’à l’hippodrome . Je résiste à la gourmandise bien décidé à rejoindre la cabane du bois à la porte de Boulogne pour prendre un café. Il existe un petite dizaine de ces kiosques qui font le bonheur des promeneurs et de ces dames à toutous, toutes des habituées qui viennent tailler la bavette à la buvette.
Plus loin, des grappes de cyclistes se tirent une bourre infernale dans la descente qui borde l’hippodrome de Longchamp. Il n’est pas rare qu’une ambulance des pompiers en ramasse lorsque ça tourne mal ou que ca frotte un peu trop dans les virages. Courageux ou inconscients, quelques VTT et vélos électriques se mêlent à la masse des routiers, un peloton qui s’étire jusqu’au moulin de Bagatelle. Le printemps est là et les tribunes de l’hippodrome vont bientôt résonner des clameurs des parieurs. En juillet prochain, la pelouse centrale recevra , les Solidays, cet immense festival. Je contourne l’endroit par la gauche et redescend vers la Seine emprunter le sentier qui serpente entre la Seine et le camping du Bois de Boulogne, le seul et unique à Paris. Chaque année, j’observe les métamorphoses successives : installation de tentes familiales, roulottes et aujourd’hui construction de petits chalets avec terrasse et large baie vitrée. Le grand confort en dur côtoie désormais celui des classiques camping-cars venus de toute l’Europe.
Les tentes des routards s’intercalent comme elles peuvent dans les parcelles. Passage au barrage de Suresnes, au loin les cormorans font une sieste sur les câbles d’acier. Le Yacht Club de Boulogne tiré à quatre épingles attend ses marins d’eau douce pour une première sortie de fin d’hiver. Cet ex chemin de halage ombragé mène aux terrains de sport de Bagatelle et au pont de Puteaux. Joueurs pakistanais de cricket, kites, club footeux et rugby, se partagent l’espace. Les plaisanciers bateliers jardinent sur les pontons, réparent, repeignent. J’arrive à l’île de Puteaux. Elle est devenue un lieu totalement dédié aux loisirs avec jadis une piscine, tennis et restaurant (La ville de Neuilly est juste en face !). On y trouve un magnifique club d’aviron et les rameurs investissent chaque w.e les bras de la Seine lorsque le trafic fluvial est l’arrêt , hiver comme été. Je retraverse la Seine, cette fois au pont de Neuilly qui prolonge le centre d’affaires de la Défense, mon prochain point de passage pour rejoindre Bois-Colombes. Les trains de banlieue et les bagnoles venant de l’A14 ou A86 déboulent du tunnel qui émerge de la dalle géante surplombée de sa montagne de béton et de verre.
Là aussi , travaux à tous les étages, l’Esplanade va se transformer en un parc urbain de 5 ha, un lifting signé de l’architecte-paysagiste Michel Desvignes. Cocktail du minéral, du végétal, entre travail et détente, le défi est à la mesure de cette fourmilière du business. Bientôt 21 km au podomètre, les jambes deviennent lourdes, je coupe à travers le CNIT. Le berlingot de ciment fut longtemps le site des expositions parisiennes . J’y allais avec mes parents lors du rendez-vous des Arts Ménagers et bien années plus tard pour le Salon Nautique. Imaginez les encombrements de camions pour faire monter des voiliers de 20 m, des centaines de bateaux sur la dalle ! Aujourd’hui le monstre s’est évidé en détruisant ses étages intérieurs, s’est gonflé d’appendices latéraux. Sa façade sud est devenue le plus grand panneau d’affichage de la capitale. Des équipes d’alpinistes viennent y coller une mosaïque de dizaines de stickers formant des pubs géantes du dernier smartphone en vogue. Je fais une dernière rotation sur 360° histoire de boucler la séquence nostalgie et prend la sortie nord vers Courbevoie et la Garenne-Colombes. Le tram T2 déroule devant mois son tapis vert jusqu’à Bezon, il me reste encore une demi-heure de marche jusqu’à la casa.
14h00 , 24 km plus loin, l’asphalte m’a surchauffé les pétons, le thé est encore chaud dans le Thermos. C’est bon de rentrer tôt et comater sur le canapé sous les rayons du soleil. Finalement les grèves c’est plutôt bien pour favoriser les randos porte à porte non ? !